de Jean-Luc Nancy
Collection détroits, Christian Bourgeois 1986
Un livre attachant, aux limites de la philosophie et de la littérature, et parlant de limites et de littérature.
p. 18
[...] pour être absolument seul, il ne suffit pas que je le sois, il faut encore que je sois seul à être seul. Ce qui précisément est contradictoire. La logique de l'absolu fait violence à l'absolu.
p. 28
[...] le communisme ne peut plus être notre horizon indépassable. Il ne l'est, de fait déjà plus --mais nous n'avons dépassé aucun horizon. Tout va plutôt, dans la résignation, comme si c'était la disparition, l'impossibilité ou la condamnation du communisme qui formaient le nouvel horizon indépassable. Ces renversements sont coutumiers; ils n'ont jamais rien fait bouger. C'est aux horizons comme tels qu'il faut s'en prendre.
p. 30
Dans la devise de la République, c'est la fraternité qui désigne la communauté : le modèle de la famille et de l'amour.[Liberté égalité fraternité : liste ordonnée]
p. 32
[...] l'invention tardive qui tenta de répondre à la dure réalité de l'expérience moderne : [...] que l'essence divine de la communauté -- ou la communauté en tant qu'existence de l'essence divine -- était l'impossible même. On a pu nommer cela la mort de Dieu.
p. 65
[...] cela même que Bataille renonça à penser, il n'a rien pensé d'autre. Ce qui voudrait dire en fin de compte qu'il l'a pensé à la limite -- à sa limite, à la limite de sa pensée, et on ne pense jamais que là.
p. 145
La communauté absolue --le mythe-- n'est pas tant la fusion totale des individus que la volonté de la communauté : le désir d'opérer par la puissance du mythe la communion que le mythe représente, et qu'il représente comme une communion ou comme une communication des volontés. [...]Cela ne signifie pas seulement que la communauté est un mythe, que la communion communautaire est un mythe. Cela signifie que le mythe, que la force et la fondation mythiques sont essentielles à la communauté, et qu'il ne peut donc pas y avoir de communauté hors du mythe.
p. 148
La communauté et par conséquent l'individu n'inventent pas le mythe : c'est en lui, au contraire qu'ils sont inventés ou qu'ils s'inventent eux-mêmes. Et c'est dans la mesure où il se définit par la perte de la communauté que l'homme moderne se définit par l'absence de mythe.
p. 151
Dans l'absence de communauté, l'oeuvre de la communauté, la communauté en tant qu'oeuvre, le communisme, ne s'accomplit pas [...]
pp. 155-157
La prestation mythologique est terminée, cela n'a plus cours, ça ne marche plus. Mais la voix ou la musique interrompues impriment en quelque sorte le schème de leur retrait au murmure ou au bruissement que l'interruption fait lever [...]Il y a une voix de la communauté qui s'articule dans l'interruption et de l'interruption même.
On a donné un nom à cette voix de l'interruption : la littérature.
p. 167
[...] le geste indéfiniment repris et indéfiniment suspendu de toucher la limite, de l'indiquer, mais sans la franchir, sans l'abolir dans la fiction d'un corps commun. Ecrire pour autrui signifie en réalité écrire à cause d'autrui [...]L'écriture est le geste qui obéit à la seule nécessité d'exposer la limite : non pas la limite de la communication, mais la limite sur laquelle la communication a lieu.
p. 185
Le capital nie la communauté parce qu'il pose avant elle l'identité et la généralité de la production des produits : la communion opératoire et la communication générale des oeuvres.