Maurice Blanchot
Gallimard, 1955
folio essais
Dostoïevski (Kirilov, les Démons),
Nerval, Nietzsche, Hegel, Heidegger,
Rilke (les Cahiers de Malte Laurids Brigge),
Kafka (Journal),
Kierkegaard,
Gide (Journal, p. 115),
Mallarmé (Igitur), Valéry,
Tolstoï (Brekhounov, Nikita)
Kleist, Arria, Épicure
La solitude de l'œuvre, p. 14
Celui qui écrit l'œuvre est mis à part, celui qui l'a écrite est congédié.
Recours au « journal », p. 24
Le Journal n'est pas essentiellement confession, récit de soi-même. C'est un Mémorial. De quoi l'écrivain doit-il se souvenir ? De lui-même, de celui qu'il est quand il n'écrit pas, quand il vit la vie quotidienne, quand il est vivant et vrai, et non pas mourant et sans vérité. Mais le moyen dont il se sert pour se rappeler à soi, c'est, fait étrange, l'élément même de l'oubli : écrire.
Parole brute, parole essentielle, p. 41
Dans le langage du monde, le langage se tait comme être du langage et comme langage de l'être, silence grâce auquel les êtres parlent, en quoi ils trouvent oubli et repos.
L'expérience propre de Mallarmé, p. 44
Qu'en est-il de l'être, si l'on dit que « quelque chose comme les Lettres existe » ?
Le point central, p. 46
Ce point est celui où l'accomplissement du langage coïncide avec sa disparition.
p. 55
[Le langage de l'espace littéraire] n'est pas silencieux, car précisément le silence en lui se parle. Le propre de la parole habituelle, c'est que l'entendre fait partie de sa nature. Mais, en ce point de l'espace littéraire, le langage est sans entente. De là le risque de la fonction poétique. Le poète est celui qui entend un langage sans entente.
Cela parle, mais sans commencement. Cela dit, mais cela ne renvoie pas à quelque chose à dire, à quelque chose de silencieux qui le garantirait comme son sens.
Le conflit, p. 70
Que serait l'épreuve d'Abraham, si n'ayant pas eu de fils, il lui était cependant demandé le sacrifice de ce fils ? On ne pourrait le prendre au sérieux, on ne pourrait qu'en rire, ce rire est la forme de la douleur de Kafka.
Le salut par la littérature, p. 72
« J'écrirai en dépit de tout, à tout prix : c'est mon combat pour la survie ».
L'expérience positive, p. 86
La littérature [...] est le passage libérateur du « Je » au « Il », de l'observation de soi-même qui a été le tourment de Kafka, à une observation plus haute, s'élevant au-dessus d'une réalité mortelle, vers l'autre monde, celui de la liberté.
Pourquoi l'art est, n'est pas justifié
Note 1, p. 87
Kafka dit à Janouch que : « La tâche du poète est une tâche prophétique : Le mot juste conduit ; le mot qui n'est pas juste séduit. Ce n'est pas un hasard si la Bible s'appelle l'Écriture ».
La démarche hors du vrai : l'arpenteur, p. 93
La faute de Joseph [...] est de vouloir gagner son procès [...]
L'espace de l'œuvre, pp. 97-98
La faute qu'il punit en K. est celle qu'en lui-même l'artiste se reproche. L'impatience est cette faute.
La mort contente, p. 110
L'on ne peut écrire que si l'on reste maître de soi devant la mort, si l'on a établi avec elle des rapports de souveraineté.
Le cercle, p. 116
Agir sans nom et non pas être un pur nom oisif. Alors, les rêves de survie des créateurs paraissent non seulement mesquins, mais fautifs, et n'importe quelle action vraie, accomplie anonymement dans le monde et pour la venue du monde, semble affirmer sur la mort un triomphe plus juste, plus sûr, du moins libre du misérable regret de n'être plus soi.
L'autre côté, p. 172
C'est le faible « degré de conscience » qui avantage l'animal, en lui permettant d'entrer dans la réalité sans avoir à en être le centre.
L'espace de la mort, l'espace de la parole, p. 183
Parler, c'est essentiellement transformer le visible en invisible.
Le chant comme origine : Orphée, p. 188
Déjà s'annonce le moment où, pour Rilke, mourir, ce sera échapper à la mort.
Se coucher sur Nikita, p. 218
Se coucher sur Nikita, voilà le mouvement incompréhensible et nécessaire que nous arrache la mort.
Mais ne pas se retourner vers Eurydice, ce ne serait pas moins trahir, être infidèle à la force sans mesure et sans prudence de son mouvement, qui ne veut pas Eurydice dans sa vérité diurne et dans son agrément quotidien, qui la veut dans son obscurité nocturne, dans son éloignement, avec son corps fermé et son visage scellé, qui veut la voir, non quand elle est visible, mais quand elle est invisible, et non comme l'intimité d'une vie familière, mais comme l'étrangeté de ce qui exclut toute intimité, non pas la faire vivre, mais avoir vivante en elle la plénitude de sa mort.
L'écriture automatique, p. 234
Mais l'immédiat n'est pas proche, il n'est pas proche de ce qui nous est proche.
L'œuvre, voie vers l'inspiration, p. 245
« Moi, comme peintre, je ne signifierai jamais rien d'important, je le sens absolument. » C'est là la vérité de l'expérience : il faut persévérer dans l'espace de ce sans valeur, maintenir le souci de l'accomplissement et le droit à la perfection en supportant la détresse d'un échec irrémédiable. Seulement, pour nous, cet échec s'appelle Van Gogh [...]
p. 248
Ce à quoi René Char fait écho, lorsqu'il dit : « Le poème est l'amour réalisé du désir demeuré désir ».
[Une] malade de Pierre Janet [...] ne lisait pas volontiers, parce que, remarquait-elle, « un livre qu'on lit devient sale ».
p. 252
Un don qui n'est pas donné à l'avance.
p. 254
Le lecteur est lui-même toujours foncièrement anonyme, il est n'importe quel lecteur, unique mais transparent. N'ajoutant pas son nom au livre.
L'art est-il chose passée ? p. 284
Hegel, en commençant son cours monumental sur l'esthétique [avait] prononcé cette parole : « L'art est pour nous chose passée ».
Les niveaux de l'ambiguïté
Note 1, p. 355
L'ambiguïté dit l'être en tant que dissimulé. Pour que l'être accomplisse son œuvre, il faut qu'il soit dissimulé [...] D'autant plus essentielle est l'ambiguïté que la dissimulation peut moins se ressaisir en négation.