Attachements
Enquête sur nos liens au-delà de l'humain
Charles Stépanoff, septembre 2024
La Découverte, Collection Sciences humaines
Première partie : S'attacher
- Chapitre 1. Les affres d'un prédateur empathique
-
- Cas de conscience, p. 24
-
Sur quelques 47 000 espèces de vertébrés, nous en exploitons
environ 15 000, dont près de 80 %
sont des oiseaux et des poissons. [...]
Rien qu'en France, on tue chaque année 1 milliard de volailles ,
40 millions de lapins, 26 millions de porcins, 7 millions d'ovins.
- Aux origines du partage, pp. 58-59
-
La découpe est apparue avec le début de l'outillage lithique
il y a environ trois millions d'années et la cuisson a été permise
par la maîtrise du feu il y a peut-être deux millions d'années.
La technique du feu [...] est une pratique culturelle
qui a radicalement modifié la biologie, le comportement et la
cognition humaines : les aliments cuits étant plus facilement digérés,
le système digestif s'est réduit en taille, ce qui a libéré
de l'énergie pour le cerveau. [...]
Repoussant les prédateurs, le feu a permis à nos ancêtres
de vivre dans des zones d'habitat sécurisées au sol [...]
- Chapitre 2. Des humains polyglottes
-
- Des bébés presque humains, p. 74
-
Loin d'être universelles, ces pratiques appartiennent à un milieu social
que les psychologues et les anthropologues ont qualifié avec humour
de WEIRD (« bizarre ») :
Western, educated, industrialized, rich and democratic.
- p. 76
-
La tendance logocentrique s'avère être un facteur-clé du
développement
de conceptions individualisées de la personne et d'organisations
des rapports sociaux sur un mode compétitif.
- L'erreur de Kant, p. 83
-
Pour Kant [Fondements de la métaphysique des mœurs],
l'humanité est dotée d'une valeur inconditionnelle
dans la mesure où les humains sont des êtres rationnels.
- Chapitre 3. Adopter au-delà de l'humain
-
- Familiers et ennemis en Amazonie, p. 107
-
Les Kanamari regardent les Blancs comme des cannibales
quand ils les voient avec horreur se nourir de leurs animaux domestiques.
- Chapitre 4. Enchantements trans-espèces
-
- Tou-tou-lou-dou-lou-ou, p. 135
-
La communication avec les troupeaux n'est pas toujours
aussi mélodieuse et raffinée ;
plus couramment, elle est faite de simples cris et d'appels
que l'on nomme des huchements.
- Chapitre 5. Le rituel comme communication trans-espèces radicale
-
- L'homme, animal poyglotte, p. 168
-
Pendant 2 500 ans, les définitions philosophiques de l'humain
ont mis l'accent sur le logos, c'est-à-dire la capacité
à mener une discussion argumentative.
C'est ignorer que la polyglossie ontologique est essentielle
dans la façon dont les humains se perpétuent
et bâtissent leur rapport au monde. [...]
La capacité à nous attacher à des êtres aux limites de l'humain
et au-delà, me^me lorsqu'ils sont très différents de nous
et ne nous accordent que peu des signes de réciprocité,
n'est pas une excroissance curieuse de la socialité normale,
mais au contraire une caractéristique fondamentale du comportement
humain qui a profondément marquél'histoire de notre espèce. [...]
L'anthropomorphisme nous rend humains.
Deuxième partie Le pacte domestique
- Chapitre 6. Le paradoxe du renne
-
- p. 175
-
Avec la transition de la chasse à l'élevage,
l'animal passe de la condition d'être à celle de produit.
- p. 176
-
Le régime soviétique a entrepris de rééduquer les Tozhu
et de réorganiser leur mode de vie, considéré comme arriéré.
Puis dans les années 1990, le processus de modernisation
s'est interrompu brutalement, les infrastructures centralisées
se sont effondrées
et il a fallu réactiver les réseaux denses de subsistance.
- p. 177
-
Quelle est cette socialité pastorale qui résiste
quand les hélicoptères ne décolent plus, quand la monnaie
perd sa valeur et quand l'état s'effondre ?
- Chapitre 7. Un pouvoir modernisateur
-
- Collectivisation en pays tozhu, p. 205
-
l'émancipation de la femme servait ainsi d'argument pour
justifier l'intervention du pouvoir colonial.
- Améliorer les animaux, gouverner les humains, p. 208
-
Dans les conceptions de Marx et d'Engels,
la chasse et l'élevage sont des modes de production et
des stades de l'humanité nettement distincts.
- p. 216-217
-
Le lecteur aura reconnu dans la description de la
modernisation de l'élevage des traits familiers :
agrandissement des fermes, mécanisation, productivité,
amélioration du cheptel sont les maîtres-mots de la
transformation de l'agriculture en France après guerre.
- Chapitre 8. Comment l'Eurasie arctique est devenue pastorale
-
- Une niche écologique pastorale, p. 248
-
[Ces peuples] sont devenus pasteurs
parce qu'ils s'efforçaient de rester chasseurs.
[...]
L'association plus étroite des rennes domestiques
et des humains a remodelé les paysages
et s'est imprimée dans les sols, favorisant l'émergence
d'une niche socio-écologique pastorale.
- Chapitre 9. Coexistences intermittentes
-
- Élevages du monde, pp. 256-257
-
Habitué au plein air intégral, capable d'agneler de façon
autonome et sans perte, le mouton d'Ouessant illustre
un rapport à l'animal qui a été dominant
dans de nombreuses régions avant la rupture moderne.
- Chapitre 10. Et l'homme-démiurge domestiqua le monde
-
- Cosmologies paysannes, p. 280
-
On a classé ces récits paysans dans
les « superstitions » et
« croyances folkloriques »,
c'est-à-dire des erreurs archaïques, alors qu'elles
exprimaient souvent une intelligence écologique sensible
à la complexité des relations au sein d'un écosystème.
- p. 283
-
L'humain n'est jamais dans un face-à-face souverain
avec les animaux et les plantes : entre eux
s'interposent une dynamique créatrice céleste
et des forces vitales terrestres qui les insèrent
dans le réseau d'une communauté morale multi-espèces.
- Buffon : une « espèce de création », p. 286
-
Le cheval n'est pas un don que l'homme devrait regarder
avec gratitude, c'est une conquête
qu'il doit revendiquer avec orgueil !
- Améliorer la nature, p. 292
-
Les chevaux [...] connaissent un accroissement des statures
sous l'effet de la mode prestigieuse du « grand cheval ».
Au niveau génétique , on observe une brutale perte de lignages
de chromosomes Y et un déclin de la diversité génétique. [...]
Les moutons, les chèvres, les vaches ont aussi été soumis
à un travail intensif de sélection.
- p. 293
-
L'élevage et l'agriculture sont entrés dans une ère de déclin
de la diversité, débutée il y a environ 250 ans,
que nous appelons la rupture moderne.
- p. 303
-
Les enclosures furent une « révolution des riches
contre les pauvres », selon la formule de
Karl Polanyi.
- Le berceau de la domestication est le jardin d'acclimatation, p. 307
-
[Isidore Geoffroy de Saint-Hilaire, 1831, à propos du chien :]
« Son degré de domestication,
si l'on peut parler ainsi, est presque dans tous les pays,
proportionnel au degré de civilisation de l'homme. »
- En quête de confirmations archéologiques, p. 322
-
L'archéologue anglais John Lubbock a introduit en 1865
la notion de « Paléolithique », désignant la période
des outils de pierre taillée,
et celle de « Néolithique »,
la période suivante des outils de pierre polie. [...]
Les ossements d'animaux domestiques étaient absents des sites
paléolithiques, et abondaient autour des habitations néolithiques.
- p. 324
-
Les théories de la domestication ne sont jamais seulement
une description du passé, elles s'inspirent
des pratiques présentes et façonnent l'avenir.
- p. 325
-
La révolution de la domestication-asservissement
n'a pas eu lieu au Proche-Orient néolithique,
mais dans l'Europe moderne.
- Chapitre 11. La métamorphose des vivants
-
- p. 327
-
Les animaux domestiques représentent 60 % de la biomasse
totale des mammifères de la planète.
Les humains comptent pour 35 %, tandis que
les mammifères sauvages ne forment plus que 5 % de l'ensemble.
Nos bovins domestiques à eux seuls pèsent vingt fois plus lourd
que la totalité des mammifères sauvages terrestres.
Du côté des oiseaux, la biomasse de nos volailles
(principalement les poules) est trois fois supérieure à celle
de tous les oiseaux sauvages.
- Des créations de l'homme ? p. 333
-
Aussi désappointant soit-il, on ne peut pas éviter le constat
que les actions humaines ne sont pas toujours suivies d'une réponse.
- Incapables de survivre sans l'homme ? p. 345
-
Les généticiens ont récemment montré que le cheval de Przewalski
originaire de Mongolie est un ancien cheval domestique,
revenu à la vie sauvage depuis plusieurs millénaires.
- Chapitre 12. Repenser la domestication
-
- Comment l'humain s'est autodomestiqué, p. 364
-
La stabilisation des unions et l'atténuation des compétitions
entre mâles ont eu des effets anatomiques spectaculaires :
les mâles ont commencé à ressembler à des femelles.
En tant qu'humains, nous sommes évidemment très sensibles
aux différences anatomiques entre hommes et femmes, mais il
faut être conscient que ce dimorphisme sexuel n'est que
cosmétique à côté des gorilles.
- Chapitre 13. Écologies paysannes
-
- Le Néolithique ensauvagé en Europe, p. 370
-
Venus du Proche-Orient et arrivés en Grèce il y a 9000 ans,
les paysans n'ont rejoint les îles Britanniques que
2500 ans plus tard.
- p. 371
-
Les chasseurs-cueilleurs du Mésolithique ont laissé
en moyenne soixante fois plus de sépultures
que leurs prédécesseurs du Paléolithique supérieur.
- p. 372
-
Très inférieurs en nombre, les chasseurs-cueilleurs
ont été submergés par les populations néolithiques ;
pourtant ils ont transmis des savoirs, des techniques
et des valeurs aux nouveaux arrivants.
- p. 379
-
La découverte des pathologies entraînées par
le mode de vie agricole a été dans les années 1980 un choc
qui a conduit à regarder la révolution néolithique comme
« la pire erreur de l'humanité » selon l'expression
de Jared Diamond.
La vie sédentaire a en effet favorisé des maladies comme les
dysentries par la contamination de l'eau.
À cause de ces pathologies, la mortalité infantile tend à
augmenter et fait chuter en moyenne l'espérance de vie de
24 ans à 18 ans.
Malgré ces conditions sanitaires dégradées, les populations
agricoles augmentent plus vite que les peuples collecteurs du
fait d'une puissante natalité .
- p. 380
-
Les pathogènes causant les principales épidémies [...]
se sont développés et diffusés après le Néolithique,
à l'âge de Bronze et surtout à l'âge du Fer avec la naissance
des réseaux urbains et des empires.
- Chapitre 14. Le pacte domestique
-
- Une dette inextingible, p. 395
-
Le pacte domestique (on préférera ce terme
à la notion marchande de contrat) est pensé comme
un engagement réciproque de longue durée noué non par
les individus présents, mais hérité collectivement.
- Chapitre 15. La quête des origines
-
- p. 409
-
Dans l'histoire, la tendance de certaines sociétés
à produire des inégalités politiques et sociales
va-t-elle de pair avec une attitude de déprédation
à l'égard des ressources environnementales ?
The Enigma of Reason,
Par-delà nature et culture,
Manières d'être vivant,
The Dawn of Everything,
Champs de Bataille,
L’origine du monde,
Plagues and Peoples,
Bruno Latour,
Anthropologie