Les leçons de la Constitution de Weimar pour aujourd’hui

Thomas Piketty, chronique du samedi 16 mars 2024
Il y a tout juste un siècle, au printemps 1924, la gauche allemande se lançait dans un combat difficile pour redistribuer les richesses des Hohenzollern, la famille régnante qui venait de perdre le pouvoir outre-Rhin avec l’abdication de Guillaume II et la création de la République de Weimar, en 1919.
En particulier, le texte constitutionnel de 1919 comme la Loi fondamentale de 1949 adoptent une définition novatrice de la propriété, envisagée dans sa finalité sociale [...] Le texte de 1919 prévoit ainsi que la loi fixe le régime de propriété immobilière et la répartition des sols en fonction d’objectifs sociaux, comme le fait d’assurer « une habitation saine à toutes les familles » et « un foyer d’activité économique correspondant à leurs besoins » (article 155). Adopté dans un contexte quasi insurrectionnel, le texte a permis d’importantes redistributions de terres et de nouveaux droits sociaux et syndicaux.
Pourtant, dans le cadre des luttes politiques de 1924-1926, cette modernité constitutionnelle ne va pas suffire. En Autriche, les biens impériaux des Habsbourg sont devenus des biens collectifs, sans compensation. Mais, en Allemagne, les Hohenzollern sont parvenus à conserver leurs propriétés (plus de 100 000 hectares de terres, une dizaine de châteaux, des œuvres d’art à foison, etc.). Aucune mesure fédérale de redistribution n’a été adoptée.

2024, Le Monde