Après les révélations des “Pandora Papers”, il est plus que temps de passer à l’action
Chronique de Thomas Piketty
Le Monde du samedi 9 octobre 2021
Les plus fortunés continuent d’échapper à l’impôt.
Contrairement à ce qui est parfois avancé,
aucun indicateur fiable ne permet de dire que la situation se soit
améliorée
au cours des dix dernières années.
Avant l’été, le site ProPublica avait révélé que les milliardaires américains
ne payaient quasiment aucun impôt par comparaison à leur
enrichissement et à ce que paie le reste de la population.
En France, comme aux Etats-Unis et dans la quasi-totalité des pays riches,
la taxe foncière, ou son équivalent anglo-saxon, la property tax,
continue à représenter le principal impôt sur le patrimoine
(autour de 2 % du PIB, environ 40 milliards d’euros
de recettes annuelles en France).
À l’inverse, l’absence d’un tel système d’enregistrement
et d’imposition des biens fonciers et professionnels explique,
dans nombre de pays du Sud, l’hypertrophie du secteur informel
et les difficultés ultérieures pour mettre en place une imposition des revenus.
Le problème est que ce système d’enregistrement
et d’imposition des patrimoines n’a quasiment pas bougé
depuis deux siècles, alors même que les actifs financiers
ont pris une importance prépondérante.
Le résultat est un système extrêmement injuste et inégalitaire.
Si vous possédez un logement ou un bien professionnel
d’une valeur de 300 000 euros,
et si vous êtes endettés à hauteur de 290 000 euros,
alors vous allez payer la même taxe foncière
qu’une personne qui a hérité du même bien
et possède de surcroît un portefeuille financier de 3 millions d’euros.
Aucun principe, aucun raisonnement économique
ne peut justifier un système fiscal aussi violemment régressif,
à part le fait qu’on part du principe qu’il serait impossible
d’enregistrer les patrimoines financiers.
Or il s’agit non pas d’une impossibilité technique,
mais d’un choix politique : on a choisi de privatiser
l’enregistrement des titres financiers
(auprès de dépositaires centraux de droit privé,
comme Clearstream ou Eurostream) puis de mettre en place
la libre circulation des capitaux garantie par les Etats,
sans aucune coordination fiscale préalable.
En ligne,
ProPublica,
Le Monde
Marc Girod
Sun Feb 13 16:10:46 2022