Krach, le jour d'avant

Stéphane Lauer, mardi 30 janvier 2018
Entre jouer les oiseaux de mauvaise augure en pronostiquant que la planète est à la veille d'une crise financière et passer pour celui qui n'a rien vu venir, la voie est étroite et les garde-fous fragiles. Dans un cas, on vous reproche d'élaborer des prophéties autoréalisatrices, qui de toutes les façons se produiront, ce n'est qu'une question de temps. Dans l'autre on vous accusera d'être du côté du manche, de participer à l'euphorie ambiante sans avoir su prendre le minimum de recul dont sont dépourvus ceux qui ont intérêt à ce que l'aveuglement général se prolonge le plus longtemps possible.
[Warren Buffet] surveille comme le lait sur le feu le rapport entre la capitalisation boursière totale et le produit intérieur brut américain, « la meilleure mesure du niveau des valorisations à un moment donné », affirme la deuxième fortune mondiale. Cet indice est passé au-dessus de 150 %, ce qui signifie que les marchés sont « significativement surévalués ».
Regardons un autre indice, celui mis au point par Robert Shiller, Prix Nobel d'économie et auteur du livre Exubérance irrationnelle (Valor 2000). Actuellement, la grande majorité des investisseurs se fait une idée de la cherté du marché en rapportant le cours des actions aux bénéfices des entreprises, ce que l'on appelle le « price earning ratio » (PER). Beaucoup vous diront que, à cette aune, il n'y a pas le feu au lac. Si l'on prend les 500 plus grosses entreprises cotées aux États-Unis, le S&P500, cet indice est au-dessus de 26, à comparer avec les 44 atteints lors de la bulle Internet ou même les 124 au pire de la crise des subprimes. On voit avec ce dernier exemple que le PER peut fluctuer fortement au gré de la conjoncture.

L'indice de Shiller se propose de contourner cette critique en lissant les effets de cycle. Il s'agit de prendre les cours du S&P500 rapportés aux bénéfices moyens des dix dernières années précédentes. Sur longue période, il est en moyenne à 17. À la veille du lundi noir de 1929, il était monté à 30. Actuellement, nous sommes à 34,75.


Le Monde
Marc Girod