Vous avez dit « chevelue » ?
Mardi 21 juillet 2009
Série d'été 2009 : « Nos ancêtres les Gaulois »
[Les Romains,] dans les années qui suivent les campagnes de César,
parlent de la « Gaule chevelue » (Gallia comata)
pour évoquer le territoire conquis entre 58 et 51 avant J.-C.
« L'expression concerne en réalité les populations
décrites avec un peu de mépris comme portant longs leurs cheveux,
explique l'archéologue Matthieu Poux
mais il en est resté l'idée d'une terre gauloise mal défrichée,
encore couverte par la forêt »
Voilà comment d'un mot on fabrique une histoire.
« Je me suis amusé à reprendre les résultats d'une fouille
menée au XIXe siècle [...],
raconte M. Méniel.
Les comptes-rendus mentionnaient des défenses de sanglier
alors qu'il s'agit, sans aucun doute possible,
de canines de cochon domestique.
On avait fait une lecture orientée des découvertes
pour coller à l'image du barbare chassant
dans les forêts profondes de la Gaule... »
Il faut le répéter pour y croire :
la forêt gauloise n'était ni plus vaste ni plus profonde
que la forêt française.
Tout commence au
siècle précédent.
« Dans les années 1760, un certain James McPherson prétend
avoir recueilli, via les traditions orales des landes du Pays de Galles,
d'Écosse et d'Irlande, les poèmes d'un barde et grand guerrier du nom d'Ossian,
qui aurait vécu au IIIe siècle,
raconte Christian Goudineau.
Il donne de ces prétendus fragments poétiques celtes
une traduction en langue anglaise et c'est aussitôt un succès foudroyant
dans toute l'Europe.
De ce qu'on a appelé l'"ossianisme", avec druides, landes, forêts
et tutti quanti, est né le préromantisme. »
En 1789, dans son célèbre Qu'est-ce que le tiers état ?,
l'Abbé Sieyès oppose le peuple, issu des Romains et des Gaulois,
à la noblesse, issue des Francs :
de la France à la Gaule, un lien de filiation, encore ténu, se dessine.
Vingt ans plus tard, Chateaubriand, influencé par l'ossianisme,
écrit Les Martyrs [...]
« En 1828, Amédée Thierry (1797-1873) écrit une
Histoire des Gaulois
qui reprend toutes les sources antiques et fait de Vercingétorix
un héros romantique [...]
Peu après, vers 1830, l'historien Henri Martin (1810-1883) invente,
dans son Histoire de France,
une nouvelle narration qui ne s'appuie plus sur la succession des rois
et des dynasties, mais sur de grands personnages qui incarnent,
à un moment donné, l'idée de la nation. [...]
C'est cela [...] qui fait du prince gaulois battu à Alésia
une incarnation de la France.
[...] si la France est la Gaule...
alors elle est bâtie sur les ruines d'Alésia. Sur une déroute.
Et pour pouvoir s'en féliciter,
il a bien fallu que
« nos ancêtres les Gaulois »
aient été bien inférieurs à leurs vainqueurs
—qu'ils aient été des rustres habitants dans les bois.
Cette dualité [...] est un leg intangible [...]
Il en découle peut-être ce sentiment diffus que d'une défaite
peut naître un bien [...]
ou cette affinité si singulièrement française avec les perdants magnifiques,
ceux qui échouent avec panache comme Vercingétorix ou... Poulidor.
Le Monde
Marc Girod