Pour comprendre la focalisation sur ce qu’il se passe en haut de l’échelle sociale, chez les multimillionnaires ou milliardaires, l'économiste Lucas Chancel rappelle un fait central : « le patrimoine français n’a jamais été aussi élevé qu'aujourd'hui dans son histoire économique, et cette hausse de la richesse nationale a été captée par une petite partie de la population ».
« En France, la hausse a en effet été particulièrement marquée depuis trente ans, et nous ne sommes pas meilleurs que nos voisins », ajoute-t-il. « Au milieu des années 80, la part du patrimoine détenue par les 1 % des plus riches était de 15 % du total, on s ’approche aujourd'hui de 30 %. La suppression de l'Impôt Sur la Fortune a participé de ce mouvement », indique l’économiste. De manière plus générale, Lucas Chancel estime que « la France n’a jamais eu de fiscalité sur l’héritage digne de ce nom ».
« Nous avons 340 milliards de dépenses de retraites chaque année, 270 viennent de cotisations retraites et le reste vient d'impôts, notamment la CSG », rappelle Lucas Chancel. « Nous finançons déjà les retraites avec les impôts depuis plusieurs années ». « Les 10 milliards d'euros de dette peuvent tout à fait être trouvés dans une mise à contribution plus grande des revenus du capital ou du stock du capital ».Lucas Chancel plaide en faveur de réformes permettant de « réduire la pression fiscale sur une grande partie de la population ». En particulier, « l'impôt sur l’héritage pourrait être réduit pour les classes moyennes et populaires ». Parallèlement, l’économiste promeut une « augmentation des prélèvements là où ils sont relativement faibles, c'est-à-dire en haut de l’échelle sociale ». Si l’on taxe les revenus de la société LVMH, le risque n’est-il pas que Bernard Arnaud s'implante ailleurs qu’en France ? « En réalité, l’administration fiscale dispose d’un éventail d'outils possibles pour éviter ce type de situations, pour peu qu'elle choisisse de les utiliser ».
« Le rôle des banques centrales est évidemment important », souligne Lucas Chancel. « Les choix relevant de la politique monétaire contribuent aussi à nourrir les cours de la bourse. La possibilité d'accroitre la taille du marché sur laquelle le bénéfice peut être fait, en d'autres termes, la mondialisation, joue aussi. Aujourd'hui, certains signes sont néanmoins précurseurs d’un retour de la régulation des marchés par l’État ».