Œuvres poétiques complètes (1937-1949)
René Guy Cadou
Seghers, 1978 (édition originale : Robert Laffont, Jean Bouhier)
Genèse, p. 55
Et le soc d'une étoile nous ouvre le chemin.
Hélène, p. 127
Je t'atteindrai Hélène
A travers les prairies
A travers les matins de gel et de lumière
Sous la peau des vergers
Dans la cage de pierre
Où ton épaule fait son nid
Maintenant et à l'heure de notre mort, p. 145
Si facile d'aimer
Le vent
La porte ouverte
Et la lampe allumée
La même voix
La même plainte
Et les deux mains tendues où dépassent les pointesLe bleu
La haute neige attardée sur ton front
L'églantier de tes yeux
Et tes yeux au plafond
Tout ce qui te ressembleIl nous reste un pays sans borne
A mesurer
Des écarts de tendresse
Un pas lourd dans l'allée
Sur le bord de la nuit
La première fumée.
La belle étoile, p. 146
Jamais tu n'oseras, usant tes propres cendres
Jeter sur le tableau les mots qui font comprendre
Que tout l'amour du monde est à imaginer.
Et toi le jamais vu Hamlet pâle en tricot
Qui reçus dans tes bras le cher Federico
Ce matin d'hiver en Espagne
A toi aussi derrière les fils barbelés
Qui sont la couronne d'épines de la terre
Ma vie ne commençait qu'au delà de moi-même
Un jour tu t'es trouvée
Dévêtue dans mes brasEt je n'ai plus songé
Qu'à te couvrir de feuilles
De mains nues et de feuilles
Pour que tu n'aies point froidCar t'aimais-je autrement
Qu'à travers tes eaux vives
Corps de femme un instant
Suspendu à mes doigts
p. 279
Je t'attendais ainsi qu'on attend les navires
Dans les années de sécheresse quand le blé
Ne monte pas plus haut qu'une oreille dans l'herbe
Qui écoute apeurée la grande voix du tempsJe t'attendais et tous les quais toutes les routes
Ont retenti du pas brûlant qui s'en allait
Vers toi que je portais déjà sur mes épaules
Comme une douce pluie qui ne sèche jamaisTu ne remuais encor que par quelques paupières
Quelques pattes d'oiseaux dans les vitres gelées
Je ne voyais en toi que cette solitude
Qui posais ses deux mains de feuille sur mon couEt pourtant c'était toi dans le clair de ma vie
Ce grand tapage matinal qui m'éveillait
Tous mes oiseaux tous mes vaisseaux tous mes pays
Ces astres ces millions d'astres qui se levaientAh que tu parlais bien quand toutes les fenêtres
Pétillaient dans le soir ainsi qu'un vin nouveau
Quand les portes s'ouvraient sur des villes légères
Où nous allions tous deux enlacés par les ruesTu venais de si loin derrière ton visage
Que je ne voyais plus à chaque battement
Si mon cœur durerait jusqu'au temps de toi-même
Où tu serais en moi plus forte que mon sang.
p. 289
Un homme
Un seul un homme
Et rien que lui
Sans pipe sans rien
Un homme
Dans la nuit un homme sans rien
Quelque chose comme une âme sans son chien
La pluie
La pluie et l'homme
La nuit un homme qui va
Et pas un chien
Pas une carriole
Une flaque
Une flaque de nuit
Un homme.
La poésie de devra jamais être pour vous une surcharge si délicate soit-elle mais s'inscrira en filigrane dans la page, comme une onde à longue portée en plein ciel. Et dites-vous bien que plus vous aurez mis de vous en elle plus elle vous portera loin, plus vous aurez de chance d'atteindre l'anonymat notre seule gloire.
La poésie est naissance et non pas connaissance.