Charles Baudelaire, 1857-1861
Orphée, la différence, 1989
Au lecteur
C'est l'Ennui ! - l'œil chargé d'un pleur involontaire,
Il rêve d'échafauds en fumant son houka.
Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
- Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère !
II L'albatros, p. 27
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
IV Correspondances, p. 29
Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme des haubois, verts comme des prairies,
— Et d'autres corrompus, riches et triomphants [...]
VI Les phares, p. 31
Goya, cauchemar plein de choses inconnues
De fœtus qu'on fait cuire au milieu des sabbats,
De vieilles au miroir et d'enfants toutes nues,
Pour tenter les démons ajustant bien leurs bas ; [...]
XIII Bohémiens en voyage, p. 35
L'empire familier des ténèbres futurs.
XIV L'homme et la mer, p. 35
Homme libre, toujours tu chériras la mer !
XVIII L'idéal, p. 39
Tes appas façonnés aux bouches des titans.
XLVII Harmonie du soir, p. 62
Voici venir les temps où vibrant sur sa tige...
LVI Chant d'automne, p. 71
Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ;
Adieu vive clarté de nos étés trop courts !
[...]
Il me semble, bercé par ce choc monotone,
Qu'on cloue en grande hâte un cercueil quelquepart.
XCIII, À une passante, p. 105
La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.Un éclair... puis la nuit ! Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudain renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savait !
CXIX, Abel et Caïn, p. 132
Race d'Abel, dors bois et mange ;
Dieu te souris complaisamment.Race de Caïn, dans la fange
Rampe et meurs, misérablement.
III Femmes damnées, p. 149
Delphine et Hyppolite
Maudit soit à jamais le rêveur inutile
Qui voulut le premier, dans sa stupidité,
S'éprenant d'un problème insoluble et stérile,
Aux choses de l'amour mêler l'honnêteté !