Roland Barthes, 1953
Seuil, Points, Essais
Écritures politiques, p 21
Toutes les écritures présentent un caractère de clôture qui est étranger au langage parlé.
Deuxième partie
Triomphe et rupture de l'écriture bourgeoise, p 46
Sans doute les écrivains classiques ont-ils connu une problématique de la forme, mais le débat ne portait nullement sur la variété et le sens des écritures, encore moins sur la structure du langage; seule la rhétorique était en cause, c'est-à-dire l'ordre du discours pensé selon une fin de persuasion.
p 47
[La] langue classique est revêtue des caractères de l'universel, la clarté devient une valeur [...]C'est parce que la prébourgeoisie des temps monarchiques et la bourgeoisie des temps post-révolutionnaires, usant d'une même écriture, ont développé une mythologie essentialiste de l'homme, que l'écriture classique, une et universelle, a abandonné tout tremblement au profit d'un continu dont chaque parcelle était choix, c'est-à-dire élimination radicale de tout possible du langage.
p 48
[C'est] toujours la même écriture dix-huitiémiste [...] qui reste la norme du français de bon aloi, ce langage bien clos, séparé de la société par toute l'épaisseur du mythe littéraire [...]
L'écriture et la parole, p 63
[D]ans l'oeuvre de Céline, par exemple, l'écriture n'est pas au service d'une pensée [...]; elle représente vraiment la plongée de l'écrivain dans l'opacité poisseuse de la condition qu'il décrit.
L'utopie du langage, p 66
[L'écrivain est] placé par son écriture dans une contradiction sans issue: ou bien l'objet de l'ouvrage est naïvement accordé aux conventions de la forme [...] et le mythe littéraire n'est pas dépassé; ou bien l'écrivain reconnaît la vaste fraîcheur du monde présent, mais pour en rendre compte il ne dispose que d'une langue splendide et morte [...]Chaque écrivain qui naît ouvre en lui le procès de la Littérature; mais s'il la condamne, il lui accorde toujours un sursis que la Littérature emploie à le reconquérir; il a beau créer un langage libre, on le lui renvoie fabriqué [...]
Flaubert et la phrase, p 132, note 6 (tirée de "Préface à la vie d'écrivain", correspondance de Flaubert rassemblée par Geneviève Bollème)
Pour moi, tant qu'on ne m'aura pas, d'une phrase donnée, séparé la forme du fond, je soutiendrai que ce sont là deux mots vides de sens.
Fromentin: «Dominique», p 156
Dominique s'étonne de retrouver son histoire dans le livre des autres; il ne sait pas qu'elle en provient.
Pierre Loti: «Aziyadé», p 167
Comment dire: rien? On se trouve ici devant un grand paradoxe d'écriture: rien ne peut se dire que rien; rien est peut-être le seul mot de la langue qui n'admet aucune périphrase, aucune métaphore, aucun synonyme, aucun substitut; car dire rien autrement que par son pur dénotant (le mot «rien»), c'est aussitôt remplir le rien, le démentir: tel Orphée qui perd Eurydice en se retournant vers elle, rien perd un peu de son sens, chaque fois qu'on l'énonce (qu'on le dé-nonce).