de Pierre Bourdieu, 1998
Liber, Raisons d'agir
Contre la destruction d'une civilisation, p 33
[...] je pense [...] qu'on ne peut combattre efficacement la technocratie, nationale et internationale, qu'en l'affrontant sur son terrain privilégié, celui de la science, économique notamment, et en opposant à la connaissance abstraite et mutilée dont elle se prévaut, une connaissance plus respectueuse des hommes et des réalités auxquelles ils sont confrontés.
La pensée Tietmeyer, p 54
[...] rigidité sur le marché du travail et flexibilité sur le marché du travail [...] On voit que, « sur-le-marché-du-travail », fonctionne comme une sorte d'épithète homérique susceptible d'être accroché à un certain nombre de mots, et l'on pourrait être tenté, pour mesurer la flexibilité du langage de M. Hans Tietmeyer, de parler par exemple de flexibilité ou de rigidité sur les marchés financiers.
La télévision, le journalisme et la politique, pp 76, 77, 78 et 83
[L'indignation des journalistes s'explique par] la propension à privilégier l'aspect le plus directement visible du monde social, c'est-à-dire les individus, leurs faits et surtout leurs méfaits, dans une perspective qui est souvent celle de la dénonciation et du procès, au détriment des structures et des mécanismes invisibles [...] qui orientent les actions et les pensées et dont la connaissance favorise plutôt l'indulgence compréhensive que la condamnation indignée.
Dans un univers qui, comme le monde du journalisme, et surtout de la télévision, est dominé par la crainte panique d'être ennuyeux et par le souci de divertir à tout prix, la politique est vouée à apparaître comme un sujet ingrat [...]
Mais les journalistes [...] ne font que projeter [...] leurs propres inclinations [...]; notamment lorsque la peur d'ennuyer, donc de faire baisser l'audimat, les porte à donner la priorité au combat sur le débat, à la polémique sur la dialectique [...]
Cette vision déshistoricisée et déshistoricisante, atomisée et atomisante, trouve sa réalisation paradigmatique dans l'image que donnent du monde les actualités télévisées, succession d'histoires en apparence absurdes qui finissent toutes par se ressembler, défilés ininterrompus de peuples misérables, suites d'évènements qui, apparus sans explications, disparaîtront sans solutions, aujourd'hui le Zaïre, hier le Biafra, et demain le Congo, et qui, ainsi dépouillés de toute nécessité politique, ne peuvent au mieux susciter qu'un vague intérêt humanitaire.