Capitalisme, désir et servitude

Marx et Spinoza
Frédéric Lordon
La Fabrique éditions, 2010

I. Faire faire

La liquidité, le fantasme du désir-maître capitaliste

p. 65
[...] la liquidité est une promesse de réversibilité parfaite offerte à l'investissement financier. Elle représente la forme minimale de l'engagement puisque, à l'inverse de l'investissement en capital industriel qui immobilise durablement le capital-argent, la prise de participation sous la forme de la détention de titres financiers de propriété (actions) peut instantanément être annulée par un simple ordre de vente faisant retour au cash.

Tyrannie et terreur

p. 69
La réservation d'une part de revenu pour le capital n'était-elle pas originellement justifiée par le portage du risque, les salariés abandonnant une part de la valeur ajoutée contre une rémunération fixe, donc soustraite aux aléas de marché ?

Joyeux automobiles (Salariés : les faire marcher)

L'obéissance joyeuse

p. 87
Et comme tous les pouvoirs, le pouvoir patronal découvre à l'expérience qu'il est plus efficace de régner à l'amour qu'à la crainte.
p. 89
Contrainte et consentement, ce sont des formes vécues (respectivement triste et joyeuse) de la détermination.

Le ré-enchantement spontané

pp.  90-91
La valeur n'est pas une propriété intrinsèque des choses sur laquelle le désir, simplement récognitif, n'aurait plus qu'à se régler ; et notre désir n'est pas simplement effort d'orientation dans un monde de désirables objectivement déjà là. [...] Loin que le désir soit une induction par la valeur, c'est la valeur qui est une production par le désir.

Les images vocationnelles

p. 105
Ainsi, entre autres par son système d'éducation, de formation et d'orientation, la société tout entière travaille à produire les images vocationnelles qui précolinéarisent les individus, futurs enrôlés conditionnés à désirer l'enrôlement.

L'insondable mystère du désir enrôlé

p. 114
[...] nous ne vivons pas seulement dans une économie capitaliste mais dans la société capitaliste.

Les risques du constructivisme du désir

p. 123
Spinoza observait déjà que l'État, plutôt qu'à la crainte, devait chercher à « conduire les hommes de façon telle qu'ils aient le sentiment, non pas d'être conduits, mais de vivre selon leur complexion et leur libre décret ».
p. 124
[...] on pourait dire très largement que le corps de la société entière travaille, par autoaffection, à former les désirs et les affects de ses membres. Mais ce procès de l'autoaffection du corps social demeure inassignable, si ce n'est nominalement à l'instance maximale qu'est le corps social lui-même, et ne porte aucune intention, aucun projet délibéré.

Le voile des affects joyeux, le fond des affects tristes

p. 131
Les déviants persistants, au sens littéral de la géométrie des vecteurs-conatus, connaîtront le sort que l'entreprise réserve à ceux qui lui refusent de « tout donner » — en ne mettant à leur disposition que la possibilité d'être refaçonné pour tout donner avec joie.

III. Domination, émancipation

La domination repensée à l'usage du « consentement »

p. 140
[...] que reste-t-il de la domination quand l'aliénation est universelle et qu'elle est accompagnée d'affects joyeux ?
p. 143
Régler la distribution du désirable pourrait donc être l'effet le plus caractéristique de la domination, et aussi le plus général puisque le spectre du désirable s'étend du désir d'éviter un mal au désir de conquérir les plus grands biens (les biens socialement tenus pour les plus grands) en passant par les désirs d'objets mineurs, source des petites joies réservées aux petites gens.

Alors le (ré) communisme !

p. 167
Si l'idée communiste a essentiellement à voir avec l'égalité, la question se pose alors de savoir quelle peut être la nature de l'égalité accompagnant une inégalité substantielle, reconnue, des contributions, et qui ne nie pas l'asymétrie de ces situations où la force d'une proposition initiale donne objectivement aux autres contributions un caractère auxiliaire.

La défixation (critique de la (dés-) aliénation)

pp. 182-183
Il n'y a pas de puissance inaccomplie ou ineffectuée qui se tiendrait en retrait, disponible pour être activée, et toujours le conatus est au bout de ce qu'il peut, même s'il peut très peu.

Philosophie
Marc Girod