Edmund Husserl
Cartesianische Meditatione, 1950
Traduction de Gabrielle Peiffer et Émmanuel Levinas, 1930
Vrin, 1992
Descartes inaugure un type nouveau de philosophie. Avec lui la philosophie change totalement d'allure et passe radicalement de l'objectivisme naïf au subjectivisme transcendental [sic].
Philosophes qui cherchons encore notre point de départ, nous n'admettons comme valable aucun idéal de science normative ; nous n'en pourrons avoir que dans la mesure où nous le créerons nous-mêmes.
L'existence naturelle du monde [...] présuppose, comme une existence en soi antérieure, celle de l'ego pur et de ses cogitationes. Le domaine d'existence naturelle n'a donc qu'une autorité de second ordre et présuppose toujours le domaine transcendental.
Descartes [...] fait de l'ego une substantia cogitans séparée, un mens sive animus humain, point de départ de raisonnements de causalité.
Par l'εποχη phénoménologique, je réduis mon moi humain naturel et ma vie psychique —domaine de mon expérience psychologique interne— à mon moi transcendental et phénoménologique, domaine de l'expérience interne transcendentale et phénoménologique.
[...]
Ce concept de transcendental et son corrélatif, le concept de transcendant, nous devons les puiser exclusivement dans notre propre méditation philosophique.
Le cogito a conscience de son cogitatum non pas en un acte non différencié, mais en une « structure de multiplicités » à caractère noétique et noématique bien déterminé, structure coordonnée de façon essentielle à l'identité de ce cogitatum déterminé.
p. 78
[...] cette « démonstration » rend féconde l'importante découverte de Franz Brentano, à savoir que l'intentionalité est le caractère descriptif fondamental des « phénomènes psychiques ».
Étant donné que ces modes de présentation de la conscience temporelle interne sont eux-mêmes des « états intentionnels », ils doivent nécessairement —dans la réflexion— se présenter comme des durées. Nous rencontrons ici une particularité fondamentale et paradoxale de la vie de la conscience, qui semble ainsi être affectée d'une régression à l'infini. [...] la vie de la conscience se rapporte intentionnellement à elle-même.
Je suis un ego méditant à la manière cartésienne ; je suis guidé par l'idée d'une philosophie, comprise comme science universelle, fondée d'une manière absolument rigoureuse, dont j'ai —à titre d'essai— admis la possibilité. Après avoir fait les réflexions qui précèdent, j'ai l'évidence d'avoir avant tout à élaborer une phénoménologie eidétique, seule forme sous laquelle se réalise —ou peut se réaliser— une science philosophique, la « philosophie première ».
[Le fait] n'est possibl e qu'intégré au système des formes aprioriques qui lui appartiennent en tant que fait égologique. À ce propos, il ne faut pas perdre de vue que le fait lui-même, avec son irrationalité, est un concept structurel dans le système de l'a priori concret.
[La] phénoménologie semble pouvoir se définir : théorie transcendentale de la connaissance.
p. 139
Mais comment tout ce jeu, se déroulant dans l'immanence de ma conscience, peut-il acquérir une signification objective ? Comment l'évidence (la clara et distincta perceptio) peut-elle prétendre à être plus qu'un caractère de ma conscience à moi ? C'est là (à l'exception de l'exclusion de l'existence du monde qui n'est peut-être pas tellement sans importance) le problème cartésien que devait résoudre la véracité divine.
[Ce] problème est un contre-sens. [....] quel est ce moi qui a le droit de poser de telles questions transcendentales ? [...] En m'appréhendant moi-même comme homme naturel, j'ai d'ores et déjà effectué l'aperception du monde de l'espace, je me suis saisi moi-même comme me trouvant dans l'espace où je possède déjà un monde qui m'est extérieur.
pp. 141-143
[Ce] qui est essentiellement lié est concrètement un, est un dans le concret unique et absolu de la subjectivité transcendentale. [...Si] en moi, ego transcendental, d'autres ego sont transcendentalement constitués, comme cela arrive en fait, et si, à partir de l'intersubjectivité ainsi constituée en moi, se constitue un monde objectif, commun à tous, tout ce que nous avons dit précédemment ne s'applique pas seulement à mon ego empirique, mais à l'intersubjectivité et au monde empiriques qui en moi acquièrent leur sens et leur valeur. [...] Au lieu de chercher, d'une manière absurde, à conclure de l'immanence imaginaire à une transcendance —qui ne l'est pas moins— de je ne sais quelles « choses en soi » essentiellement inconnaissables, la phénoménologie s'occupe exclusivement d'élucider systématiquement la fonction de la connaissance, seul moyen de la rendre intelligible en qualité d'opération intentionnelle. Par là l'être aussi devient intelligible, qu'il soit réel ou idéal ; il se révèle comme « formation » de la subjectivité transcendentale, constituée précisément par ses opérations.
Le monde objectif est toujours déjà là, tout fait ; il est une donnée de mon expérience objective qui se déroule actuelle et vivante ; et ce qui n'est plus objet de l'expérience garde sa valeur sous forme d'habitus.
[La métaphysique au sens habituel du terme], dégénérée au cours de son histoire, n'est pas du tout conforme à l'esprit dans lequel elle a été originellement fondée en tant que « philosophie première ». La méthode intuitive concrète, mais aussi apodictique, de la phénoménologie, exclut toute « aventure métaphysique », tous les excès spéculatifs.
p. 225
Il ne peut donc, en réalité, y avoir qu'une seule communauté de monades, celle de toutes les monades coexistantes ; par conséquent, un seul monde objectif, un seul et unique temps objectif, un seul espace objectif, une seule Nature.
La phénoménologie transcendentale, systématiquement et pleinement développée, est eo ipso une authentique ontologie universelle. Non pas une ontologie formelle et vide, mais une ontologie qui inclut toutes les possibilités régionales d'existence, selon toutes les corrélations qu'elles impliquent.