Notre république a depuis longtemps abdiqué toute ambition
de réaliser une démocratie.
Ce n'était d'ailleurs pas l'objectif de
Sieyès, par exemple,
qui dès le début savait que la représentation
en était une alternative, destinée à nous en préserver.
Que l'on en soit conscient ou non, nos « représentants »
ne nous représentent pas, et le jeu des élections n'a pour but
que de sécuriser la mainmise du pouvoir par une classe
de politiciens professionnels.
La convention citoyenne est donc l'une des rares pistes
que l'histoire récente nous ait proposées de renouer
avec la recherche d'une hypothétique démocratie,
fondée sur la délibération et non pas sur le choix
entre des options prédéterminées, et qui ne satisfont personne.
Ce livre, par l'un de ceux qui ont mis en œuvre
la convention sur le climat, est une analyse post-mortem
de ce prototype, honnête, critique, sans illusion.
On retrouve ici la « règle de non-opposition » qui caractérise la palabre, selon Philippe Urfalino [Décider ensemble]. La peur de la division est le principe actif de cette procédure. Décider « sans infliger un échec aux minoritaires », faire en sorte qu'une idée puisse gagner « sans avoir vaincu quiconque », tels sont les objectifs de cette méthode de délibération qui revient à donner à chacun un quasi-droit de veto.
Même sous-tendu par des motivations aussi hétérogènes, ce désir de réussir fut finalement le principal ciment de la gouvernance de la Convention.
Philippe Urfalino souligne, après d'autres, la faiblesse de [la] théorie qui fait du consensus l'horizon presque naturel de la discussion en repoussant aussi loin que possible les instruments destinés à y mettre un terme, en particulier le vote majoritaire.[Devoir en venir à voter est un échec de la délibération.]
De nombreux praticiens restent encore aujourd'hui animés pas l'idée que la délibération démocratique doit tendre à l'accord des parties. Assez logiquement, ils ont développé une forte méfiance à l'égard du vote majoritaire, qu'ils tiennent à l'écart des discussions aussi longtemps que possible. Le vote introduit en effet un rapport de force au sein du corps délibérant : le nombre l'emportant sur les arguments, il fait des gagnants et des perdants, contraint les minoritaires à se soumettre aux majoritaires, antagonise le cas échéant des « blocs » et suscite des stratégies de campagne (alliances, deals, etc.). En bref, il viole la logique du « meilleur » argument.
Cet engagement, le fameux « sans filtre » était sans portée normative, puisque le vote de la loi ne relève pas des prérogatives du président de la République.p. 169
La description des parlementaires en politiciens professionnels obsédés par les conditions de leur réélection, voire « soumis aux lobbies » et représentants de leur « milieu » avant de l'être du peuple lui-même, en a fait aux yeux de beaucoup les exacts contraires d'un citoyen supposé désintéressé et représentatif de la réalité sociale du pays.
On ne leur demandera et on ne pourra leur demander aucun compte.C'est pourquoi l'idée de confier un quelconque pouvoir de décision à ces assemblées ne fait pas sens.
« La décision légitime n'est pas la volonté de tous, mais celle qui résulte de la délibération de tous. »
L'idée fondamentale des sondages délibératifs est que la volonté collective ne peut être supposée « déjà là » : elle se construit au cours d'un processus de formation et de discussion.