Écologica

André Gorz (1923-2007)
Galilée, 2008

Introduction — L'écologie politique, une éthique de la libération

p. 17
Pas plus que les soldats ne peuvent s'approprier l'armée à moins d'en changer du tout au tout le mode d'organisation et les règles, pas plus la classe ouvrière ne peut s'approprier les moyens de production par lesquels elle est structurée, fonctionnellement divisée et dominée. Si elle s'en emparait sans les changer radicalement, elle finirait par reproduire (comme cela s'est fait dans les pays soviétisés) le même système de domination. Je signale au passage que tout cela est aussi mentionné dans les Grundrisse.

p. 18

Mais le communisme, ça n'est ni le plein emploi, ni le salaire pour tout le monde, c'est l'élimination du travail sous la forme socialement et historiquement spécifique qu'il a dans le capitalisme, c'est-à-dire du travail emploi, du travail marchandise.

pp. 19-20

Quel qu'ait été le coût initial d'une connaissance, sa valeur d'échange tend vers zéro quand elle est librement accessible, transcriptible en langage informatique, indéfiniment réplicable pour un coût négligeable. Pour avoir une valeur d'échange, un prix, il faut qu'elle soit rendue rare, inaccessible à tous, privatisée par une firme qui en revendique le monopole et en tire une rente.

I. La sortie du capitalisme a déjà commencé

p. 26
Or, plus la quantité de travail pour une production donnée diminue, plus la valeur produite par travailleur — sa productivité — doit augmenter pour que la masse du profit réalisable ne diminue pas. On a donc cet apparent paradoxe que plus la productivité augmente, plus il faut qu'elle augmente encore pour éviter que le volume de profit diminue. [...] Le système évolue vers une limite interne où la production et l'investissement dans la production cessent d'être assez rentables.

pp. 29-30

La sortie du capitalisme aura donc lieu d'une façon ou d'une autre, civilisée ou barbare. La question porte seulement sur la forme que cette sortie prendra et sur la cadence à laquelle elle va s'opérer.

II. L'écologie politique entre expertocratie et autolimitation

p. 63
La recherche de l'efficacité maximale dans la mise en valeur du capital exige ainsi l'inefficacité maximale dans la couverture des besoins : le gaspillage maximum.

p. 69

Cette domination de la rationalité économique sur toutes les autres formes de rationalité est l'essence du capitalisme. Laissé à lui-même, il aboutirait à l'extinction de la vie et donc de lui-même. S'il doit avoir un sens, ce ne peut être que de créer les conditions de sa propre suppression.

III. L'idéologie sociale de la bagnole

p. 71
Et le luxe, par essence, cela ne se démocratise pas : si tout le monde accède au luxe, plus personne n'en tire d'avantages ; au contraire : tout le monde roule, frustre et dépossède les autres et est frustré, roulé, et dépossédé par eux.

p. 76

À la différence de tous les propriétaires passés de moyens de locomotion, l'automobiliste allait avoir un rapport d'usager et de consommateur — et non de possesseur et de maître — au véhicule dont, formellement, il était le propriétaire. Ce véhicule, autrement dit, allait l'obliger à consommer et à utiliser une foule de services marchands et de produits industriels que seuls des tiers pourraient lui fournir.

IV. Croissance destructive et décroissance productive

pp. 98-99
[...] seul le socialisme — c'est-à-dire : seule une facon de produire dégagée de l'impératif du profit maximum, géré dans l'intérêt de tous et par tous ceux qui y concourent — seul le socialisme peut se payer le luxe de rechercher la plus grande satisfaction au moindre coût possible. [...] Seul le socialisme peut investir aujourd'hui en vue d'économiser demain, c'est-à-dire en vue de vendre un moindre volume de produits plus durables sur lesquels les profits, tels qu'on les conçoit aujourd'hui, seraient moindres eux aussi.

V. Crise mondiale, décroissance et sortie du capitalisme

p. 109
Ignacio Ramonet cite un chiffre qui en dit long [...] : plus de 25 % de l'activité économique mondiale est assurée par deux cents multinationales qui emploient 0,75 % de la population mondiale.

p. 122

[...] le travail n'est pas quelque chose qu'on a dans la mesure où on vous le donne ; mais [...] le travail est quelque chose qu'on fait pourvu qu'on en ait les moyens [...]

VI. Richesse sans valeur, valeur sans richesse

Note p. 146
La bulle boursière a [...] été suivie par la bulle Internet et l'éclatement de celle-ci par l'actuelle bulle immobilière, « la plus grande de tous les temps », selon The Economist. [...] Plus une bulle est grande, plus son éclatement menace de produire l'effondrement du système bancaire et des monnaies.

Essais
Marc Girod