On peut certes trouver des pays et des époques où l'espérance de vie décline, y compris en temps de paix, comme l'Union soviétique dans les années 1970 ou les États-Unis dans les années 2010 [...]
Plus personne ne voudrait de leur sucre, de leur coton et de leur tabac, et ce serait la faillite immédiate de la production nationale et de la grandeur du pays, si par malheur on se mettait à suivre les lubies antiéconomiques et antipatriotiques des abolitionnistes.
En particulier, le centile supérieur, qui en 1900-1910 détenait à lui seul 55 % du total des propriétés privées en France, 60 % en Suède et 70 % au Royaume-Uni, n'en détenait plus que 15 %-20 % dans ces trois pays dans les années 1980, avant de remonter autour de 20 %-25 % (et peut-être un peu plus en réalité) dans les années 2000-2020.
Au cours de la période 1950-1980, qui correspond à l'âge d'or de la social-démocratie, les inégalités de revenus de sont établies à un niveau sensiblement plus faible qu'au cours des autres périodes historiques [...] Cette inégalité plus faible est due en partie aux destructions entraînées par les guerres, qui ont davantage appauvri ceux qui possédaient beaucoup que ceux qui ne possédaient rien. Mais elle s'explique surtout par un ensemble de politiques fiscales et sociales qui ont permis de structurer des sociétés à la fois plus égalitaires et plus prospères que toutes les sociétés précédentes, et que l'on peut désigner de façon générale comme les « sociétés sociales-démocrates ».
L'idée d'un succès du reaganisme s'est développée à partir d'une construction politico-idéologique complexe, s'appuyant notamment sur le succès dans la compétition politique et militaire contre l'Union soviétique (sans grand rapport pourtant avec les politiques économiques et fiscales menées aux États-Unis), et à titre secondaire sur la réduction de l'écart de croissance avec l'Europe (qui se serait très certainement produite de toute façon, compte tenu de la fin du rattrapage de l'après-guerre).
De façon générale, le mouvement socialiste s'est construit à partir de la question du régime de propriété, avec en ligne de mire l'objectif des nationalisations. Or cette focalisation sur la propriété étatique des entreprises, dont nous avons vu qu'elle était encore très forte jusqu'aux années 1980 au sein du socialisme français ou du travaillisme britannique, a eu tendance à bloquer la réflexion autour de la fiscalité autant que celle autour de la cogestion ou de l'autogestion.
L'échec dramatique de l'expérience communiste en Union soviétique (1917-1991) est l'un des facteurs qui ont le plus fortement contribué au retour en force du libéralisme économique depuis 1980-1990, et au développement de nouvelles formes de sacralisation de la propriété privée. La Russie en particulier est devenue le symbole emblématique de ce retournement. Après avoir longtemps été le pays de l'abolition de la propriété privée, elle est devenue le leader mondial des nouveaux oligarques et de la richesse offshore, c'est-à-dire dissimulée dans des structures opaques au sein de paradis fiscaux. Plus généralement, le postcommunisme, dans ses variantes russes, chinoises et est-européennes, est devenu en ce début de XXIe siècle le meilleur allié de l'hypercapitalisme.
Quand les bolcheviques prennent le pouvoir en 1917, leurs plans d'action sont loin d'être aussi « scientifiques » qu'ils ne le prétendent. Il est clair que la propriété privée sera abolie, au moins pour ce qui concerne les grands moyens industriels de production, qui sont d'ailleurs peu nombreux en Russie. Mais comment seront organisés les nouveaux rapports de production et de propriété ? [...]Il ne s'agit pas ici d'accabler Marx ou Lénine, mais simplement de constater que ni eux ni personne n'avaient proposé avant la prise du pouvoir de 1917 de solutions précises à ces questions essentielles. Marx avait certes prévenu dès 1850 dans Les luttes de classe en France que la transition vers le communisme et la société sans classes nécessiterait une phase de « dictature du prolétariat », au cours de laquelle il serait nécessaire de placer tous les instruments de production entre les mains de l'État. Le terme « dictature » n'était guère rassurant. Mais en réalité cela ne réglait en rien la question de l'organisation de l'État, et il est bien difficile de savoir ce que Marx aurait conseillé de faire s'il avait vécu assez longtemps pour voir la révolution de 1917 et ses suites. Quant à Lénine, on sait qu'il favorisait peu avant sa mort en 1924 une longue phase au cours de laquelle la NEP s'appuierait sur des formes régulées de marché et de propriété privée. La nouvelle direction conduite par Staline se méfiait de ces complexités, qui risquaient de ralentir l'industrialisation du pays, et décida dès 1928 de mettre fin à la NEP [...]
Il est important de rappeler cette réalité essentielle : la valeur du capital privé et public, tel qu'il est évalué sur la base des prix de marché par les comptes nationaux, ne correspond qu'à une toute petite partie de ce qui a une valeur pour l'humanité, à savoir les actifs que la collectivité a choisi d'exploiter (à tort ou à raison) sur la base de transactions économiques et marchandes.
Si une compagnie ou un pays commence l'exploitation d'un gisement en 2000 ou 2010, la valeur des réserves en question n'apparaîtra généralement dans les estimations du total des propriétés privées ou publiques figurant dans ses comptes nationaux officiels qu'à partir de 2000 ou 2010. En revanche elle n'apparaîtra pas dans les estimations de 1970 ou 1980, alors même que ces gisements étaient de toute évidence déjà présents sur la planète à ces dates.
p. 783
Graphique 13.9. Centile supérieur et propriété : pays riches et émergents
Dans l'absolu, rien n'empêcherait les banques centrales de décupler leur taille, voire davantage. Rappelons par exemple que le total des propriétés privées (immobilières, professionnelles et financières, nettes de dettes) détenues par les ménages atteint dans les années 2010 environ 500 %-600 % du revenu national dans la plupart des pays riches (contre à peine 300 % dans les années 1970-1980). D'un point de vue strictement technique, il serait possible pour la FED ou la BCE de créer l'équivalent de 600 % du PIB ou du revenu national en dollars et en euros et de tenter de racheter la totalité du capital privé des État-Unis et de l'Europe de l'Ouest. Le problème est que cela poserait de sérieux problèmes de gouvernance : les banques centrales et leur conseil d'administration ne sont pas mieux outillés pour administrer la totalités des propriétés d'un pays que ne l'était le système de planification centralisé en Union soviétique.
L'opacité financière et la montée des inégalités compliquent considérablement la résolution du défi climatique, et plus généralement conduisent à des insatisfactions sociales dont la solution passe par une plus grande transparence et une plus forte redistribution, sauf à vouloir laisser monter des tensions identitaires de plus en plus fortes. Comme tous les régimes inégalitaires, celui-ci est instable et évolutif.
pp. 926-927
Ce sont les classes aisées du centre gauche et du centre droit, venues de la « gauche brahmane » et de la « droite marchande », qui se sont de facto rassemblées pour faire avancer la construction européenne, bien avant la tentative de constitution d'une telle alliance au niveau politique sous la forme du « bloc bourgeois » de 2017.
p. 928. Note 1
Je précise avoir voté pour le « oui » en 1992 (mon premier vote) et en 2005, comme ma classe de diplôme, dans l'espoir que l'Europe sociale et fiscale finirait par venir. Cette posture d'attente béate me semble toutefois de plus en plus dangereuse et difficile à tenir.
p. 929
Proche en esprit de l'idéologie du trickle-down (« ruissellement ») utilisée par Ronald Reagan dans les années 1980 et celle des job creators développée par Donald Trump et les républicains étatsuniens des années 2010, on peut toutefois douter que l'idéologie des « premiers de cordée » aurait pu conduire seule à ces mesures fiscales dans le contexte français de 2017 (très différent du contexte étatsunien sur ces questions) sans l'argument de la concurrence fiscale européenne.
Les impôts proposés prennent la forme d'un d'un impôt commun de 15 % sur les bénéfices des sociétés (doublés d'un taux minimal de 22 % au niveau national, soit au total 37 %), un impôt commun sur les hauts revenus de 10 % au-delà de 200 000 euros de revenu annuel et de 20 % au-delà de 400 000 euros (s'ajoutant aux taux supérieurs d'environ 40 %-50 % actuellement appliqués au niveau national, soit au total 60 %-70 % pour les plus hauts revenus), un impôt commun sur les hauts patrimoines de 1 % au-delà de 1 million d'euros et de 2 % au-delà de 5 millions d'euros (s'ajoutant aux taxes sur la propriété, taxes foncières et autres impôts nationaux sur les patrimoines, et qui pourrait être complété par un impôt commun sur les successions de 10 % au-delà de 1 million et de 20 % au-delà de 2 millions), et d'une taxe commune sur les émissions carbone (avec un prix initial de 30 euros par tonne, qui a vocation à être réévalué annuellement). Tous les détails sont sur www.tdem.eu.
Cela demande [...] de remplacer la notion de propriété privée permanente par celle de propriété temporaire, au travers d'un impôt fortement progressif sur les sociétés importantes permettant de financer une dotation universelle en capital et d'organiser ainsi une circulation permanente des biens et de la fortune.[...] il serait absurde de prétendre apporter sur des questions aussi complexes des réponses parfaitement satisfaisantes et convaincantes, des solutions qu'il n'y aurait plus qu'à appliquer les yeux fermés.
Les mesures de réduction des inégalités évoquées précédemment, et en particulier la forte augmentation de la progressivité fiscale sur les hauts revenus et patrimoines, apparaissent [...] comme une condition nécessaire pour lutter contre le réchauffement climatique.
Récapitulons. L'idéologie actuelle de la mondialisation, telle qu'elle s'est développée dans les années 1980-1990, est actuellement en crise et en phase de redéfinition. Les frustrations créées par la montée des inégalités ont peu à peu conduit les classes populaires et moyennes des pays riches à se défier de l'intégration internationale et du libéralisme économique sans limites. Ces tensions ont contribué à l'émergence de mouvements nationalistes et identitaires, qui pourraient nourir un mouvement de remise en cause désordonné des échanges. L'idéologie nationaliste pourrait également (et sans doute plus probablement) alimenter une fuite en avant vers la concurrence de tous contre tous et le dumping fiscal et social vis-à-vis de l'extérieur, le tout s'accompagnant à l'intérieur des États par le durcissement identitaire à l'encontre des minorités et des immigrés, de façon à souder le corps social face à ses ennemis déclarés.
La forte réduction des inégalités observée au milieu du XXe siècle a été rendue possible par la construction d'un État social reposant sur une relative égalité éducative et sur un certain nombre d'innovations radicales, comme la cogestion germanique et nordique ou la progressivité fiscale à l'anglo-saxonne. La révolution conservatrice des années 1980 et la chute du communisme ont interropmu ce mouvement et ont contribué à faire entrer le monde depuis les années 1980-1990 dans une nouvelle phase de foi indéfinie dans l'auto-régulation des marchés et de quasi-sacralisation de la propriété.