Un conte philosophique, à la Montesquieu (Lettres persanes). Une comparaison qui révèle l'absurdité fondamentale de notre pseudo-« démocratie ».
— « Démocratie » ? Vous venez d'une démocratie ? J'ai entendu parler des démocraties, savez-vous ! Elles séparent et encadrent un peu les pouvoirs, c'est ça ? On dit même que ce sont des misarchies embryonnaires, débutantes.
— La démocratie n'est pas « embryonnaire », ni « débutante ». C'est le plus achevé et le meilleur des régimes politiques.
Si je comprends bien, dans ton pays, les flux financiers peuvent être totalement opaques, notamment grâce à l'argent liquide, mais les messages, les discussions et les réseaux sociaux sont totalement transparents. Chez nous, c'est exactement le contraire.
La multiplicité des pouvoirs est toujours plus complexe que leur unité. Rien n'est plus simple, au moins sur le papier, qu'un chef tout-puissant, qui a tous les pouvoirs. Mais rien n'est plus effrayant. Comme dit l'adage, il est impossible d'être l'esclave de deux maîtres. La division des pouvoirs nous semble essentielle.
Il existe un petit corps d'une centaine de règles, assez stable, que nous appelons les « fondamentaux ». Ce sont des règles impératives pour tous, sur tous les territoires de notre misarchie. Pour y échapper, un territoire devrait sortir de tous les districts qui forment la misarchie arcanienne... Ce ne serait plus une scission, mais une sécession.p. 130
— Et quelles sont ces règles fondamentales ?
En comptant sur ses doigts, il commence à les énumérer :
— Il y a la procédure de changement districtal, les comices communaux, le droit d'évincer toute direction, la limitation des cotex, la liberté d'adhésion ou de résiliation des appartenances associatives, les droits humains, les rotations infantiles, la condamnations des infractions nodulaires...
Leur organisation est un peu complexe, avec cette obsession qu'ils semblent avoir de toujours préserver la volonté des uns et des autres. Mais au moins, ce peuple est organisé et il ne manque pas de règles.
— Bernard Arnaud a un capital estimé à plus de soixante-dix milliards d'euros. Si vous vous amusez à calculer combien de temps un travailleur moyen peut mettre pour gagner une telle somme, évidemment... [...]
— Plus de deux millions d'années ! Par Antisthène ! C'est sept fois plus que l'âge des Homo Sapiens — notre espèce ! Mais comment se fait-il qu'un pareil voleur soit vivant ? J'imagine qu'il est perpétuellement protégé par une milice surarmée ? [...]
Quand je pense à cette personne dont vous me dites qu'elle a accumulé deux millions d'années de revenu médian. C'est comme si elle avait volé le revenu de vingt mille personnes pendant cent ans. Sans même être inquiétée... C'est irréel... impossible...
— Dix mille personnes incarcérées ? Sur environ quatre-vingt millions d'habitants ?p. 238
— Oui, cela représente douze personnes incarcérées pour cent mille habitants. C'est énorme.
— En France, dis-je, nous avons environ cent personnes incarcérées pour cent mille habitants, soit, en proportion, plus de huit fois votre nombre de prisonniers. [...]
— Votre civilisation est si différente de la nôtre. Avec votre papier-monnaie qui traîne partout, les échanges illégaux doivent être fréquents.
— Notre économie souterraine est mal connue, par définition. Mais on estime que les échanges au noir et autres traffics pourraient représenter aux alentours de 20 % du PIB, dans les pays de l'OCDE.
— Un gros pourcentage de la population doit y participer. Évidemment, cela fait beaucoup de délinquants. Et, dans un monde aussi inégalitaire que le vôtre, les plus pauvres doivent constamment tenter de voler les riches. Leur colère est bien naturelle. Mais dans un tel état de quasi guerre civile perpétuelle, la répression est nécessairement sauvage.
— Vous exagérez. Notre société est beaucoup moins violente que la plupart des autres. D'ailleurs, les États-Unis ont un taux d'incarcération de 693 pour cent mille, sept fois plus que la France !
— Notre système pénal a plutôt durci ces dernières années..., en même temps que nos inégalités se creusaient.
— Évidemment [...] Plus la société est brutale, plus le système juridique est faible et plus maintenir sa crédibilité impose de violence. Dans une société comme la France, avec ses inégalités extrêmes, sa publicité constante, sa morale sexuelle prohibitive et son papier-monnaie, de rudes menaces sont peut-être inévitables.
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Mes fonctions me donnent droit à la parole dans toutes les assemblées, mais elles m'interdisent de prendre part aux délibérés et aux prises de décision. Mais bon, [...] comme fondatrice, référence et ancienne, en pratique, mon influence n'est pas tout à fait nulle.
— En France [...], nos responsables politiques ne peuvent prendre aucune décision sans avoir officiellement consulté nos économètres et enregistré leurs prédictions. Au niveau de l'Union européenneou du FMI aussi, leurs calculs sont tenus en très haute estime et leurs conclusions guident ouvertement la plupart des choix politiques.
— En Grèce antique, aucune décision importante ne pouvait être prise sans avoir consulté la Pythie. Vos décideurs sont les continuateurs de cette ancienne et puissante tradition. Ils suivent l'oracle des initiés. Dans ce contexte, je comprends mieux pourquoi vous accordez si peu de pouvoir au peuple.
L'être humain est le seul d'animal qui nous menace sérieusement. C'est pour ça qu'il faut être bien gentil avec tous les êtres humains. Et pour être bien gentil avec tous les êtres humains, il faut commencer par ne pas les classer selon qu'ils nous ressemblent plus ou moins