Le rapport entre valeur et prix

Ou comment revisiter la théorie smithienne de la valeur en mobilisant Aristote
Paul Jorion
Revue du Mauss, 11 avril 2007

L'économie ou les choses dans la perspective du prix

L'économie c'est l'interaction humaine vue dans la perspective du prix, c'est une manière d'envisager l'activité des hommes en portant sur elle un certain regard.

Notons cependant que si l'on suppose au contraire qu'il est dans la nature de prix de varier, alors aucune notion intermédiaire du type de la valeur n'est requise [...]

Valeur « d'usage » et valeur « d'échange »

La synthèse faite par Fourquet est excellente et elle attire notre attention sur une démarche classique des débuts de la science moderne et dont l'inspiration néo-platonicienne est ici, comme dans les autres cas, flagrante : le double renversement d'une réalité en fiction, et d'une fiction en réalité. En l'occurrence, un phénomène est observé, le prix, dont l'une des caractéristiques est la variabilité ; celle-ci conduit à supposer qu'il existe derrière le phénomène une réalité plus objective que lui-même et dont il n'est que la manifestation phénoménale, c'est-à-dire imparfaite ; cette Réalité-Objective étant la valeur.

La valeur comme « idée platonicienne »

[...] si le prix et sa variabilité intrinsèque avaient attiré l'attention non pas, comme ce fut le cas, au XVIe siècle mais au XXe siècle, les scientifiques qui se seraient penchés sur son cas auraient pu procéder comme ils l'ont fait maintenant à de nombreuses reprises, en particulier en mécanique quantique, c'est-à-dire considérer que le prix dispose d'une réalité mais que sa réalité est intrinsèquement changeante et que seul un espace de probabilités peut représenter ses métamorphoses de manière adéquate.

La valeur comme temps de travail

[Adam Smith] affirme d'une part : « C'est pourquoi, le travail seul, ne variant jamais dans sa propre valeur, est le seul et l'ultime étalon grâce auquel la valeur de toutes les marchandises peut en tout temps et en tout lieu être estimée et comparée. C'est leur prix réel : l'argent n'est que leur prix nominal »

Ceci n'empêche toutefois pas Smith de proposer une explication additive de la valeur un peu plus loin dans le même ouvrage : « Lorsque le prix d'une marchandise n'est ni plus ni moins que ce qui suffit à payer la rente de la terre, les salaires de la force de travail et les profits du capital utilisés à la produire, la préparer et la conduire au marché, selon leurs taux naturels, la marchandise est alors vendue pour ce que l'on peut appeler son prix naturel ».

Conclusion

[...] le prix reflète sur un mode immédiatement quantitatif le rapport de force qu'entretiennent vendeurs et acheteurs en tant que membres (ou simples représentants) des conditions qui constituent l'ordre social. Le concept de valeur est en conséquence, parfaitement inutile dans l'explication.

Texte,
Articles
Marc Girod